Visuel officiel de la saison #7
Les registres du jeu
Photo : Les Tanneries – CAC, Amilly

MERIS ANGIOLETTI, JOËL AUXENFANS, COLLECTIF CLARA, VICTOR CORD'HOMME, HÉLÈNE DELPRAT, SAMMY ENGRAMER, GUILLAUME LASSERRE, NATALIA JAIME-CORTEZ, LES SIMONNET, VIR ANDRES HERA […] / COMMISSAIRE INVITÉ : GUILLAUME LASSERRE / PROGRAMMATION : ÉRIC DEGOUTTE

Les Tanneries – Centre d’art contemporain inaugurent le samedi 8 octobre prochain leur septième saison artistique intitulée Les registres du jeu. Elle s’étendra jusqu’au 27 aout 2023, trouvant, pour une proposition située en Grande Halle (Collectif CLARA) ses derniers prolongements dans la saison suivante, à l’orée de l’année 2024. 

Cette saison artistique ouvre une nouvelle périodicité de programmation pour le centre d’art labellisé d’intérêt national au printemps dernier. Et ce faisant, un nouveau rythme aussi. Chaque saison s’articulera sur un principe de 3 cycles de renouvellement d’expositions permettant d’avoir pour certaines productions des périodes de diffusion et de valorisation plus longue. 

Ce sera ainsi le cas pour Éclat, belle et grande installation de Abraham Cruzvillegas, inaugurée en juin dernier : le prolongement de l’exposition (elle se terminera le 20 novembre 2022) permettra de lui donner toute la temporalité qui fonde son « registre » : le temps d’une floraison – celle des ipomées envahissant l’espace – qui va à son terme, dans le dernier instant de la fenaison. Telle une saisonnalité aboutie qui vient résonner avec celle du lieu – l’aménagement discret de cette grande halle ne prétendant pas la domestiquer et masquer les réalités extérieures du climat du parc tout au long de l’année.

Grande horloge de cette vie végétale s’accomplissant, Éclat l’est autant pour celle des activités humaines matérialisées par un protocole développé par l’artiste : arpenteur des espaces et des objets délaissés, Abraham Cruzvillegas en saisit certaines temporalités, jouant des registres mémoriaux que nous nous attachons à voir transparaitre dans toute pratique archéologique, fut-elle de la simple collecte et de l’apparentement : celle par laquelle resurgit du visible. Et aussi de l’intelligible. 

Eclat fait lien aussi avec le fil de la saison dernière – Draw Loom – qui trouva dans l’imagerie et les mécanismes d’entremêlement des fils du métier à tisser, les conditions d’une mise en œuvre – de toute mise en œuvre ? – focalisées sur l’émergence du motif, de la forme comme traduction du geste, comme l’intelligible du travail mené et remis sur le métier par chaque artiste et où dans le bruissement des mécanismes supposés, le frissonnement de la trame – premier pattern ou darstellung ultime – sur laquelle s’accroche les conditions d’un visible et nos figures de pensée(1). 

Dans la danse des ipomées grimpantes formant motif dans l’installation d’Abraham Cruzvillegas, s’apparente le jeu des battements des châssis s’ébrouant au cœur de la machinerie tisseuse, seulement permis par le jeu fonctionnel des éléments mécaniques que seul un espace inframince persistant garantit, espace libre et autorisant les déplacements autant que les glissements et par eux, tous les registres du possible. 

Les registres du jeu forment une invitation pensée comme une belle séquence, à travers un fil d’attention suivant les phases assemblées d’une contiguïté d’instants, d’espaces, de propositions, sujettes à autant de mises en récit (Meris Angioletti, Hélène Delprat, Vir Andres Hera) que de reformulations envisagées d’un geste initial et primordial (Les Simonnet, Natalia Jaime-Cortez), autant de préparation à des équipées propices aux voyages (Victor Cord’homme, Vir Andres Hera) pour aller vers des archipels émergeants, à travers de nouvelles géographies et configurations, là où se pensent, s’affichent, s’affirment des territoires et des emprises (encore Vir Andres Hera et WE ARE de Sammy Engramer et Guillaume Lasserre, avec Myriam Mihindou, Michèle Magema, Laure Tixier, Marielle Chabal, Audrey Terrisse, Bojana Nikcevic, Laurent Lacotte, Ibrahim Meïté Sikely, Lassana Sarre, Sammy Engramer, Suzanne Husky et Stéphanie Sagot. 

Dans la séquence que forme ainsi cette nouvelle saison artistique, un sample – à l’image de cette boucle de Moebius inscrite au cœur des Haïes de Joël Auxenfans – se fera rythme. Lauréat d’un 1 % artistique situé à proximité du centre d’art, l’artiste déploiera son geste paysager tout au long de l’hiver, tuilant la saison du centre d’art jusqu’à son terme.  

Il sera temps alors de voir se prolonger sur la prochaine saison artistique, dans la Grande Halle, l’extraordinaire bouquet pensé par le Collectif Clara, ourdi de centaines de figures arborescentes, pommiers et poiriers travaillés depuis plus de 2 siècles, au sein du Potager du Roi de Versailles. Le motif répété de ces figures façonnées par le temps, mais surtout par les mains de générations successives de jardiniers, nous parle d’un savoir-faire percevable comme une forme raisonnée, un langage botanique et en cela tout l’intelligible d’un art du geste : celui d’hommes qui, conscient des registres du jeu dont dépendent nos propres écosystèmes, œuvrent à maintenir une permanence transmise au long des saisons répétées, pour un état du monde demain encore regardable.

Ici, l’artiste et le jardinier semblent ne faire qu’un. Michelangelo Pistoletto ne s’opposerait certainement pas à cette idée.

 

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(1) Cette saison sera l’occasion de lancer une nouvelle édition conçue avec Klaus Spiedel et Nikolaus Gansterer autour de l’exposition Figures de pensée, temps fort de la saison #6 – intitulée Draw Loom – et qui marquera une première collaboration avec les Editions Dilecta.