Mona Convert
Entre les rivières, 2019
vue d’exposition
photo : Simon Castelli-Kérec
courtesy Les Tanneries – CAC

Artistes : Marcos Ávila Forero, June Balthazard, Julie Chaffort et Mona Convert / Commissariat : Éric Degoutte

 Entre les rivières
De l’une à l’autre, la promesse est faite de retrouver à nouveau le fil de l’eau
et, tout autant, le fil d’une vie ; le fil d’une histoire ou même d’un mythe. […]
Chacun se trouve entre les rivières : dans ce temps habité de l’entre-deux.

Éric Degoutte, mai 2020 – extrait de note d’intention

 

Hébergée tout au long de l’été entre deux bras du Loing, dans la fraîche obscurité de la Grande Halle transformée en hall(e) de cinéma au dispositif de monstration double et constellé, l’exposition Entre les rivières constitue une véritable invitation aux voyages. N’ayant ni début ni fin, les traversées qu’elle met en correspondance déploient et relatent des odyssées modernes aux dimensions initiatiques et identitaires, à la faveur de géo-poétiques variées de l’image en mouvement, allant du film d’animation au documentaire en passant par le récit de fiction cinématographique. Entre quête de soi et quête des autres, passé, présent et futur, les récits se croisent et s’entrecroisent au fil des eaux, faisant émerger une atemporalité qui se transforme en parenthèse suspendue. À travers elle, se mêlent et s’entremêlent, temps linéaires et temps cycliques, du couplet et du refrain ; temps de l’Histoire, des histoires, et temps du mythe ; récits solitaires et partagés, ouverts et intérieurs ; voyages littoraux, littéraux et littéraires, immobiles ou dans le temps ; contemplations, rencontres, échanges et réflexions.

Suspendu au-dessus des cuves où passaient autrefois les eaux du Loing, un grand écran central permet au visiteur d’assister à la projection des trois premiers films de la programmation.

Entre les rivières (2019, 45’59’’), moyen métrage documentaire de Mona Convert (née à Paris en 1994, vit et travaille à Lisbonne), donne son titre à la programmation tout comme elle l’introduit. De la Méditerranée à l’Atlantique, entre la France, le Portugal et le Maroc, l’artiste, sac-au-dos, accueille sur son épaule une caméra profondément nomade qui ne fait plus qu’un avec elle. Son œil-caméra voyage au gré de ses errances, formant ainsi un véritable journal de bord dans lequel les prises de notes se font audiovisuelles et leur esthétique brute, chaleureuse et évanescente. Le dispositif facilite, semble-t-il, les rencontres qui jalonnent et creusent, çà et là, les reliefs et les strates du voyage et du récit dans leur pluralité, à la faveur d’expériences de tournage partagées. L’entremêlement des narrations, des paroles et des langues, conjugué à celui des paysages – diurnes et nocturnes, ruraux et urbains, désertés et habités –, des habitants et des fragments de vie quotidienne souligne la présence tout comme l’émergence d’une vie et d’une vision cosmopolites, mettant en avant une culture de l’entre, de l’autre, fondée sur des contemplations et des nouveaux départs, des résistances et des célébrations. C’est aussi à partir de cet entremêlement que se forment les associations d’images et d’idées qui permettent l’éclosion de micro-histoires relatées à hauteur d’hommes, jusqu’à forger – en une énumération finale proférée par l’artiste en voix-off – une sorte de dictionnaire polyphonique du monde qui glisse sur l’horizon et semble contenir le souhait ou la promesse d’un avenir meilleur.

Il est aussi question d’errances, de rencontres et de trajectoires croisées dans Banjolito (2019, 32’17’’), court métrage réalisé par Julie Chaffort (née en 1982, vit et travaille à Bordeaux) dans le cadre d’une résidence dans le Médoc. Mettant en scène un road-movie décalé sur fond de paysages girondins qui se transforme parfois en drive-in, l’artiste réalise une série de portraits grotesques – entre le rire et les larmes – qui s’incarnent dans des monologues intérieurs aux dispositifs d’énonciation multiples et variés puisés dans un répertoire littéraire de l’errance (Marguerite Duras, Alejandra Pizarnik, Paul Auster & Mark Z. Danielewski). Auto-stoppeur et ménestrel, le personnage du musicien dont on suit les pérégrinations constitue la figure centrale du film et fédère les récits. Il est le point de rencontre des trajectoires, des perspectives et des points de vue qui se croisent, et se déplace – sur terre puis sur mer – à bord de véhicules qui deviennent progressivement de véritables acteurs du film, de la pensée et de l’imaginaire en mouvement. Entre remémorations, répétitions, contemplations, introspections et projections, chaque séquence, chaque trajet-portrait, offre une vision du monde – extérieure et intérieure – qui interroge l’absurdité de la vie et de la condition humaine, non sans une forme de sagesse populaire. À cela, Julie Chaffort associe une réflexion sur les relations entre langage et silence ainsi que sur le rôle de la musique de film dans la construction d’un récit polyphonique qui met en scène des phénomènes de reconnaissance par la vue, la parole et la mise en récits.

Il s’agit aussi pour June Balthazard (née en 1991 en France) de partir enreconnaissance, de mettre des mots sur les silences et de consacrer la valeur mémorielle de la musique dans son film d’animation La Rivière Tanier (2017, 17’30’’) dont le titre évoque une berceuse traditionnelle créole de l’île Maurice dont elle est originaire. À travers la composition d’un court métrage où les images d’archive se mêlent au dessin animé – réalisé grâce à un processus proche de la gravure –, la cinéaste et narratrice se saisit de la voix du conte pour retracer son voyage à l’île Maurice, entrepris dans le but de reconquérir la mémoire de sa grand-mère frappée par la maladie d’Alzheimer, et, avec elle, l’origine de la créolité. À la faveur de rencontres et de prises de paroles plurielles qui expriment la diversité créole, ceux qui ont connu Marie Lourdes, ancienne maîtresse d’école, la racontent. Au fil des narrations comme de l’eau dans laquelle elle aimait plonger ses pieds et qui vient désormais s’insinuer dans sa tête, le mystère de cette femme à la double culture, à la double territorialité, à la double personnalité, reste entier cependant que l’histoire familiale et les secrets qu’elle renferme prennent une dimension collective, sur fond de déracinement et de perte de mémoire et d’identité fondamentaux.

Ces mêmes thèmes, Marcos Ávila Forero (né en 1983 à Paris, vit et travaille entre Paris et Bogota) les traite dans son triptyque À Tarapoto, un Manati* (2011) composé des vidéos Le Témoignage (24’02’’), La Construction (26’47’’) et Le Voyage (18’38’’) visibles ici sur trois écrans suspendus qui dialoguent avec le premier et dont la disposition circulaire et stratifiée invite le visiteur à la déambulation. Ancrée dans une esthétique du passage, du glissement et de la transmission, cette œuvre documentaire est une restitution fragmentée d’un projet au long cours réalisé en Amazonie avec deux familles de Cocamas. Cette tribu autochtone implantée à la frontière de la Colombie, du Pérou et du Brésil est confrontée à un phénomène de perte identitaire lié aux pressions que la mondialisation fait peser sur leurs écosystèmes. À partir du Témoignage d’anciens et avec l’aide de membres de la communauté, Marcos Ávila Forero a entamé La Construction – la reproduction – d’un manati. Le pachyderme aquatique qui peuplait abondamment l’Amazone est aujourd’hui menacé de disparition à cause de la chasse intensive dont il (a) fait l’objet. Dans l’imaginaire traditionnel Cocama – en proie à l’effacement –, le Manati est aussi un animal mythique et sacré. En en sculptant une reproduction à partir d’un tronc d’arbre – origine de tous les manatis selon les croyances populaires Cocamas –, l’artiste a réalisé une œuvre collective aux dimensions totémiques. Le Voyage du manati ainsi sculpté – une navigation menée pendant deux jours par un jeune chaman sur les eaux amazoniennes – cristallise la reconquête fragmentaire par les Cocamas de leur identité, de leurs racines et de leur culture à travers les méandres de leurs mémoires réactivées par leurs mises en récits, en même temps que celle de leur territoire, au fil d’un Amazone qui se fait ici miroir au sens propre comme au figuré.

Entre les rivières, le miroir tendu de l’eau fait donc se refléter ou encore émerger des figures profondément mouvantes, en quête d’identité, dans un monde qui n’a de cesse de se recomposer, générant ainsi de nouveaux récits depuis ceux du [Grand Large] jusqu’aux Histoires d’eau en passant par les Paroles de lieux.

Communiqué de presse de l’exposition

* Dont la version française a été réalisée avec l’aimable concours des Tanneries — Centre d’art contemporain et de son équipe.


REMERCIEMENTS

Avec l’aimable concours de l’ensemble des artistes programmés ainsi que celui du Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur et du Fresnoy – Studio national des arts contemporains dans le cadre des prêts d’À Tarapoto, un Manati de Marcos Ávila Forero et de La Rivière Tanier de June Balthazard


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