Minia Biabiany
Blue spelling, 2016
vue d’exposition
photo : Simon Castelli-Kérec
courtesy Les Tanneries – CAC

Oa4s
Stillborn, 2014
vue d’exposition
photo : Simon Castelli-Kérec
courtesy Les Tanneries – CAC

Vincent Toi
Le cri du lambi, 2017
vue d’exposition
photo : Simon Castelli-Kérec
courtesy Les Tanneries – CAC

Beatriz Santiago Muñoz
Farmacopea, 2013
vue d’exposition
photo : Simon Castelli-Kérec
courtesy Les Tanneries – CAC

Tania Ximena et Yollotl Alvarado
El Cerro del Encanto, 2016
vue d’exposition
photo : Simon Castelli-Kérec
courtesy Les Tanneries – CAC

Artistes : Minia Biabiany, Oa4s, Beatriz Santiago Muñoz, Vincent Toi, Tania Ximena et Yollotl Alvarado / Commissariat : Minia Biabiany

Minia Biabiany (née en 1988 à Basse-Terre, vit et travaille entre Mexico et Saint-Claude) est invitée à investir la Petite Galerie des Tanneries en tant qu’artiste, mais aussi en tant que commissaire d’exposition. De ce nouveau rôle est née une programmation vidéo intitulée Paroles de lieux. Selon ses propres mots, Paroles de lieux « invite à habiter un entre-deux, un espace de va-et-vient entre le lieu et son ressenti, les récits qui nous habitent et les perceptions qui nous appartiennent » afin de « [renseigner] ce lien si particulier que nous avons avec nos lieux ». Pour ce faire, elle met en correspondance une sélection d’œuvres qui travaillent l’image en mouvement, allant du film d’animation au documentaire en passant par des récits de fiction filmiques et cinématographiques. Toutes ont également pour point commun de faire émerger des récits et des figures de l’ailleurs qui résonnent pourtant de manière familière et ne semblent plus si étrangères à l’heure où les enjeux identitaires, migratoires et paysagers – sur fond de post-colonialisme, de capitalisme et de changement climatique – sont plus que jamais mondialisés et de mise.

La programmation s’ouvre sur Blue spelling, a change of perspective is a change of temporality (2016, 2’27’’), une vidéo de Minia Biabiany « qui pose la question de la construction du regard sur soi et de sa relation avec ce qui nous entoure ». Blue spelling est une succession fragmentée de formes dessinées à la craie sur un tableau, qui sont autant de représentations colorées sur fond noir dont l’association se transforme – au gré du montage – en une animation silencieuse. À travers elle, l’artiste (re)génère des liens, des trajectoires, des perspectives et des transfigurations qui semblent nourrir une tentative de cartographie de paysages intérieurs, comme autant de figures de pensées situées au confluent du personnel et du collectif, de l’observation, du souvenir et du fantasme, du passé, du présent et du futur. En (é)tirant les fils, les lignes, de ses dessins animés et de sa narration sur une temporalité dissoute et séquencée, l’artiste crée un motif mental dont la progression est parfois sujette aux répétitions, entre retours en arrière et projections.

On retrouve cette temporalité singulière dans Stillborn (2014, 33’58’’). Réalisée par Oa4s (On all fours [À quatre pattes]) – collectif d’artistes composé de Temra Pavlović et Michael Ray-Von créé en 2013 et basé à Amsterdam et Mexico City – cette vidéo a été filmée dans la galerie Parallel Oaxaca (Oaxaca de Juárez, Mexique) au cours d’une des expositions du collectif dans laquelle – une fois achevée – la vidéo fut également projetée. On y suit la progression hantée et embrumée de fantômes mort-nés en quête d’identité au sein des espaces de la galerie – transformés en décors modulaires du film –, à la faveur d’une esthétique du passage et de la porosité. Parfaitement incarnées dans un rapport de coprésence des corps, de la matière et des fluides, ces figures spectrales semblent aussi possédées. Si les personnages fantomatiques sont filmés en train de s’afférer à toutes sortes de rituels – comme pour nourrir la vitalité d’un espace-temps habité dont l’intégralité déborde littéralement le cadre –, l’impression qu’ils ne sont pas véritablement les maîtres de leurs actions s’insinue au fil de la narration. La récurrence du motif de la chaîne semble corroborer ce qui pourrait être vu à la fois comme la métaphore d’une nouvelle forme d’esclavagisme mais aussi comme celle de la progression, puis de la transmission, du récit au sein d’une cosmogonie où les corps et l’esprit ne semblent faire plus qu’un pour susciter une renaissance.

Il est aussi question de mort et de renaissance dans Le cri du lambi (2017, 19’37’’) de Vincent Toi (né en 1982 à l’Île Maurice, vit et travaille à Montréal). Le court métrage mêle tour à tour deux histoires. Celle de François Mackandal – esclave marron mort en 1758, devenu héros de la révolution haïtienne et de la lutte anti-esclavagiste – est proférée et invoquée en créole face-caméra par le personnage du héros lui-même au cours d’une célébration dramaturgique nocturne rythmée par les flammes et les notes sèches des tam-tams. Elle est développée en contre-point de la mise en récit du quotidien d’un jeune haïtien d’aujourd’hui confronté à l’âpreté d’un monde rural en proie à de grands bouleversements et dans lequel l’exploitation des hommes répond à la déforestation des forêts, soulignant ainsi la prégnance d’une forme d’esclavagisme moderne. Mêlant petite et grande histoires, passé et présent, réalité et fiction, cette double narration dresse un portrait composite de l’île d’Haïti tout en s’intéressant aux phénomènes de structuration des pouvoirs qui la parcourent jusqu’à mettre en scène le meurtre des « maîtres » par le jeune haïtien. Seule échappatoire, cette figure répétée d’une « violence originelle » semble réunir les destinées du jeune homme et du héros en une seule et même narration finale, face à la mer – comme cela a commencé –, entre disparition, renaissance, rite et tragédie.

Farmacopea (2013, 5’38’’) de Beatriz Santiago Muñoz (née en 1972 à San Juan où elle vit et travaille) explore encore plus avant cette forme d’entremêlement des récits dans un court métrage documentaire défini d’emblée comme un film « sur un paysage en train de disparaitre » : celui de Porto Rico. Toile de fond permanente, les différents plans de coupe du paysage portoricain – teintés de l’effet nostalgique conféré par le 16 mm – servent de réceptacles aux différents types de récits qu’il génère. Ces derniers sont récoltés et mis en abîme par l’artiste qui les retranscrit dans une forme indirecte libre silencieuse par le biais de sous-titrages. Qu’ils soient de nature scientifique, socio-économique, historique, mythologique, hallucinatoire ou encore populaire, ils répondent tous à une tentative de définition et de mémoire du lieu, du territoire, à travers ses spécificités ou, du moins, ce qu’il en reste face aux pressions du capitalisme mondial. À travers la mise en scène de cet herbier testamentaire, l’artiste interroge en effet les processus de disparition de l’incroyable biodiversité de l’écosystème portoricain, dénonçant notamment les phénomènes de déforestation développés ces dernières années.

El Cerro del Encanto (2016, 4’02’’) de Tania Ximena (née en 1985 à Sahagún, vit et travaille à Mexico) et Yollotl Alvarado (né en 1989 à Mexico où il vit et travaille) constitue également une tentative plurielle de (re)définition et de mémoire du territoire. À la faveur d’une vidéo à double canal d’émission, les artistes font dialoguer deux manières d’interpréter et de raconter l’histoire de l’éruption meurtrière du volcan Chichón dans la région du Chiapas au Mexique qui eut lieu en 1982, ensevelissant le village de Esquipulas Guayabal : celle de Trinidad, jeune poète cherchant à sauver sa cosmogonie de l’oubli, et celle de plusieurs habitants du village ayant survécu à l’éruption qui en redessinent les plans, faisant ainsi un autre effort de mémoire. La mise en regard des deux récits – qui passent majoritairement par le geste, le tracé et le dessin à-même le sol – vient souligner leurs similitudes bien qu’ils présentent des natures très différentes ; mettant ainsi en valeur la dynamique de reconquête qui les sous-tend.

Il résulte du tissage de ces œuvres audiovisuelles, qui sont autant de formes de réappropriations et de réécritures plurielles – visuelles, orales et gestuelles – d’histoires et de lieux, un élan singulier qui nous invite et nous pousse à nous interroger à notre tour sur le rapport que nous entretenons à nos racines et à nos ramifications, à travers des figures de langages pétries de nos dépendances mais aussi vectrices de nos affranchissements.

Communiqué de presse de l’exposition


REMERCIEMENTS

Avec l’aimable concours de l’ensemble des artistes programmés et de la société de distribution La Distributrice de Films dans le cadre du prêt du Cri du lambi de Vincent Toi.


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